Les V.D.N : entre mythe et réalité
Les vins doux naturels du sud de la France sont des produits d’exception. Cependant, leur commercialisation par les vignerons est difficile.
L’historique des V.D.N
« C’était incompréhensible ! De mon temps, les caves ne cherchaient pas de nouveaux clients pensant que les V.D.N se vendraient toujours…».
Tels étaient les propos d’Étienne, vigneron à la retraite. Les Pyrénées-Orientales bénéficient d’un climat méditerranéen propice à la culture de la vigne.
De par leur histoire et leur situation géographique transfrontalière avec l’Espagne, elles ont gardé une forte identité catalane qu’elles peinent à transcrire au sein de l’économie locale. Si la production viticole est très variée (rouges, rosés, blancs etc.), les vins doux naturels occupent une place à part. Reconnus officiellement par la loi Arago en 1872, ils reçoivent l’Appellation d’Origine Contrôlée en 1936. Riches, stables et uniques, ils sont élaborés à partir d’une technique dite de mutage. Les V.D.N firent la prospérité des Pyrénées-Orientales et les ventes chutèrent dans les années 60. L’arrivée de boissons plus « tendances », le refus d’anticiper l’évolution du marché mais aussi le manque d’investisseurs participèrent à ce déclin. Depuis une trentaine d’années, les nouveaux producteurs tentent de se réapproprier ce patrimoine. Soucieux d’améliorer la qualité et l’image des V.D.N, les vignerons élaborent un produit d’exception plus proche des attentes du consommateur. Les anciens millésimes sont devenus le fer de lance de la production mais le manque de cohérence entre les prix et le choix des circuits de distribution laissent transparaître une rentabilité fébrile.
Commercialisation
Lors de ma visite aux vins 4 canons, un Rivesaltes 1931 à 240 euros a attiré mon attention. Je me demandais qui pouvait bien investir cette somme chez un caviste à Perpignan et combien de bouteilles étaient vendues. Julien qui tenait la boutique ce jour là, me répondit :
« J’ai débouché une bouteille à la maison pour Noël… Mais vous savez le prix c’est très relatif. Laisser vieillir un vin autant d’années dans des fûts représente une immobilisation pour le vigneron. Sans compter le matériel à changer régulièrement et le packaging. Vu les coûts, ce tarif est dérisoire.»
Chez un producteur
L’idée que les frais de production n’étaient pas couverts m’interpella. Je décidais alors d’interviewer un producteur pour en savoir plus.
A la Latour de France, la famille Verdaguer conduit le domaine de Rancy. Parmi les vins commercialisés, une large gamme allant des vins rouges bio aux anciens V.D.N. Un soin particulier est apporté à la production vieillie en fût de chêne. Si Rancy fut souvent récompensé, les choses n’ont pas été toujours aussi simples comme l’explique Brigitte Verdaguer :
« En 1989, lorsque nous avons repris les rênes de l’exploitation avec mon époux, les V.D.N se vendaient encore en vrac. J’ai immédiatement pressentie son potentiel en bouteille. Au domaine il a fallu travailler autrement que dans le passé et améliorer la production. C’était difficile de convaincre les banques de nous suivre financièrement. Elles répondaient qu’il fallait faire nos preuves. Alors, nous sommes partis sur les routes avec notre premier millésime, une cuvée de 1950. Un échec parce que personne ne le connaissait mais nous ne nous sommes pas découragés. Au bout de 30 ans d’effort, ce fut enfin la reconnaissance par le biais des concours et du guide hachette ».
A la question des coûts de revient, Brigitte répond que c’est extrêmement difficile à évaluer parce que la quantité de travail et d’énergie est considérable. Tous les éléments rassemblés jusqu’ici convergent vers l’hypothèse que les V.D.N sont sous évalués.
La filière viticole
Ces vins avaient connu une histoire à rebondissement et c’était peut-être là que se trouvait une des raisons de cet état de fait. Pour en savoir plus, je décidais de me rendre au Comité Interprofessionnel des Vins du Roussillon (C.I.V.R) dont le rôle est d’accompagner les différents acteurs de la filière viticole.
Des apéritifs bons marchés
A cette occasion, je rencontrais deux responsables qui me donnèrent quelques pistes. Ils me confièrent que début 20eme, les V.D.N alimentaient souvent la production d’apéritifs bon marché distribués sous le nom de grandes marques industrielles.
Une changement dans la consommation
Les goûts changèrent avec les nouvelles générations et les ventes s’écroulèrent milieu des années ’60. D’autres vignobles français comme Bordeaux ou la Bourgogne avaient su attirer d’importants investisseurs, alors que ce département avait vécu sur ses acquis. Sans apports extérieurs pour injecter de grosses sommes dans les nouvelles méthodes de commercialisation, la filière vivotait.
Un marché fragmenté
Bien que la profession s’intéresse à nouveau aux V.D.N, le volume de la production reste assez faible et le marché très segmenté.
Clarisse Martin – responsable des statistiques s’exprime à ce sujet :
« les anciens millésimes sont sous évalués. Ils devraient se positionner comme des spiritueux et être distribués sur des circuits plus spécifiques qui les mettraient d’avantage en valeur».
Xavier Hardy chargé des formations et de la communication rajouta :
« les V.D.N sont devenus un véritable produit d’exception dont le catalan devrait être fier. Il n’est plus un simple apéritif mais s’accorde désormais avec différents mets. Dommage de ne pas le trouver d’avantage sur nos tables… ».